« Au début, c’était un voleur,
il fut ensuite espion, à présent, c’est un commissaire
de police »
Jacques Collin se présente en abbé et
sous le nom de Carlos Herrera dans Les Illusions perdues. Sous
le nom de Vautrin, nous le retrouvons dans Le Père Goriot
; et pour la dernière fois, c’est sous les traits de Vautrin
qu’il apparaît dans Splendeurs et misères des
courtisanes. Ex-forçat aux aventures rocambolesques, prêtre
d’occasion et très habile policier, il est mêlé
à des événements si incroyables qu’ils sembleraient
n’être possibles que dans la très fertile imagination
de Balzac. Mais, personnage et événements sont directement
puisés dans la réalité. Le modèle de Balzac
est un forçat, Vidocq, né à Arras en 1775, célèbre
par ses évasions du bagne et ultérieurement par ses exploits
de chef de la Sûreté. Entre 1827 et 1830, Vidocq a fait
le récit de sa vie et de ses aventures dans ses Mémoires.
Quelles sont les sources qui inspirèrent le personnage de Collin
? Ces Mémoires d’abord, ainsi qu’un Supplément
aux Mémoires de Vidocq, paru quelques années après.
Mais surtout Vidocq lui-même, que Balzac reçoit avec d’autres
amis dans sa propre maison de la rue Basse, à Passy. Léon
Gozlan, dans Balzac intime, a raconté un dîner chez l’écrivain
auquel justement Vidocq était l’invité. C’était
« un homme au visage bovin. Front large, solide, un peu inquiétant.
Calme, mais du calme froid qui caractérise ces sphinx égyptiens
». Dans La Comédie Humaine, Collin a les épaules
larges, le buste et les muscles bien développés, les mains
épaisses, carrées…
Vidocq, transformé en Collin, conserve son allure et sa massive
corpulence. Comme son modèle, ce sera un forçat évasé.
Il aura une très grande expérience du crime et finira
par occuper une haute situation dans la police parisienne. Beaucoup
plus que d’affinités, on pourrait, en quelque sorte, parler
ici d’identité. Et pourtant, il existe entre le personnage
et son modèle de profondes différences. Non pas tellement
dans les faits vécus ou dans l’aspect physique, mais plutôt
dans les traits psychologiques dont Balzac enrichit son héros
: le pouvoir quasi magnétique qu’il exerce sur les êtres
faibles et qui lui permet de les dominer (ainsi Lucien de Rubempré),
un certain charme démoniaque et arrogant, un esprit pervers,
mais aussi parfaitement organisé qu’une mécanique
surhumaine.
Avec Jacques Collin, nous n’avons plus affaire à l’ex-forçat
rocambolesque, à l’équilibriste du crime, à
l’aventurier Vidocq : le Collin de Balzac obéit à
bien d’autres forces. Une certaine soif de justice qui s’est
transformée en violence et en rébellion ; une volonté
consciente de se placer au-dessus d’une humanité vulgaire
et méprisable ; une sorte de « religion » de la solitude,
une solitude superbe de lutteur et de vainqueur.
Parmi les forts, Collin est le plus fort, mais Balzac s’est faufilé
entre Vidocq et Collin, et avec lui, tout le secret de la création
artistique et de la survie du personnage.

