le roman de sa vie
 

 

Il est né à Tours le 20 mai 1799 (jour de la Saint Honoré) dans une maison qu'un bombardement détruisit en 1940. Son père, Bernard-François, 53 ans, était un méridional, l'aîné d'une famille de onze enfants, qui, venu à pied de son Tarn natal à Paris, parvint, à la force du poignet, à occuper plusieurs emplois dans les bureaux du Conseil du Roi. Il se fixe à Tours, où il est directeur des Contributions, administre l'hôpital, devient adjoint au maire. Sa mère, la jolie Laure Sallambier, a 21 ans et sort d'une famille de la bonne bourgeoisie parisienne. Fine, cultivée, mais, semble-t-il, un peu sèche, elle ne sera jamais très tendre avec Honoré, lui préférant son cadet Henri, (probablement adultérin). «Je n'ai jamais eu de mère » reconnaît-il à 47 ans. Placé au collège des Oratoriens de Vendôme, il y passe huit ans, pendant lesquels il ne voit ses parents que trois fois. Là commencent ses rêves de grandeur, qui compensent peut-être les soucis (déjà !) que lui cause l'esprit d'économie de sa mère : il a beaucoup moins d'argent de poche que ses camarades, et il en souffre. Sensible à l'indifférence maternelle, c'est un garçon joufflu, mélancolique et silencieux. Sa seule gymnastique est intellectuelle : il dévore tous les livres qu'il trouve sur son passage.


En 1814, sa famille se fixe enfin à Paris, mais il ne fait que changer de prison : la pension Lepître, au Marais, puis la faculté de Droit où un répétiteur l'accompagne. Pour que ce malheureux adolescent aux poches vides, à la tête bourrée de sentences, engagée dans la solitude, n'ait pas un instant pour rêver aux étoiles, (comme sa mère le lui reprocha dès l'enfance), on le place très vite chez un ami avoué...
Il n'y perd pas son temps : mille drames familiaux s'y nouent et se dénouent dans cette étude qui nourriront plus tard son œuvre. Il acquiert aussi à cette époque cette gaieté et cette exubérance qui ne le quitteront plus, même dans les pires périodes. A l'étude, il fait rire ses collègues par des jeux de mots, ses histoires « salées », la façon qu'il a de relever les ridicules et les bassesses d'autrui. Mais avec ça, le travail n'avance guère. Il reçoit un jour, du premier clerc, le billet suivant : « M.Balzac est prié de ne pas venir aujourd 'hui, car il y a beaucoup d'ouvrage »...
En 1819, mauvaise nouvelle : son père âgé il est vrai de 73 ans, doit prendre sa retraite. Plutôt que de jouer les nouveaux pauvres au Marais, la famille préfère s'installer à la campagne où tout est moins cher. Les voilà donc à Villeparisis, où ils ne passent pas inaperçus. Les Balzac, en effet, sont au-delà du pittoresque, à la fois intelligents, drôles, fantasques, ils révolutionnent le petit village. Et tous ont le mot et la plume facile ! Autre manie dont Balzac a hérité : celle de la noblesse. On s'appelle tantôt Balzac, tantôt de Balzac. Fâcheuse hésitation, dont Honoré fera les frais : rien de pire que les particules intermittentes.


EN ATTENDANT LA GLOIRE

Puisqu'il veut être écrivain, la famille lui demande de faire ses preuves. On l'installe alors dans une mansarde de la rue Lesdiguières, près du Luxembourg. Dans ce quartier pauvre, Balzac voit naître en lui un véritable don de voyance : « En entendant les gens, je me sentais leur guenille sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur. C'était le rêve d'un homme éveillé».
Voyance, donc, mais aussi soif de célébrité. La preuve, une lettre très amusante qu'il écrit à sa sœur Laure, (qu'il adore) : «Le feu a pris dans mon quartier rue Lesquidières, n°9, au troisième étage, dans la tête d'un jeune homme. Les pompiers y sont depuis un mois et demi, pas possible de l'éteindre. Il s'est pris de passion pour une jolie femme qu'il ne connaît pas. Elle s'appelle la Gloire ». Voilà un feu qui n'est pas près de s'éteindre.
Mais ce n'est pas avec son drame Cromwell que la gloire viendra : après lecture, l'académicien Andrieux est formel: « L'auteur doit faire quoi que ce soit, excepté de la littérature. » !
On est en 1820, Balzac ne se décourage pas, mais quitte la mansarde et retourne à Villeparisis. Là, seul ou en collaboration avec des « industriels de la ligne » fabriquant des romans à la chaîne, installés, eux, à Paris, il écrit divers romans auxquels la famille participe elle aussi un peu. Il signe Honoré de Saint-Aubin ou Lord R 'Hoone (anagramme d'Honoré).


C’est l’époque de Clotilde de Lusignan ou du Vicaire des Ardennes. Il écrit aussi des traités anonymes : Du Droit d'aînesse qu'en bon royaliste il défend, et une Histoire impartiale des Jésuites, plus orthodoxe encore qu'impartiale.

Toujours à Villeparisis, il fait deux rencontres très différentes, mais qui seront très importantes pour lui. La première, c'est Zulma Carraud, une amie de sa sœur Laure, qui restera pour lui une conseillère fidèle - peu écoutée parce que trop sage - et une sorte de statue du Commandeur. Avec cela, la bonté même. .. L'autre rencontre, cruciale, celle-ci, c'est Madame de Berny. Elle habite au bout du village et voisine amicalement avec les Balzac. Quand Honoré la voit pour la première fois, en 1822, il tombe éperdument amoureux. Elle aussi, mais plus discrètement : elle a 22 ans de plus que lui. Il tirera de cette aventure, qui va durer quinze ans, le sujet du Lys dans la vallée. En attendant, on jase dans le village et Honoré, la mort dans l'âme, doit prendre le large. Il s'en va retrouver sa sœur Laure à Bayeux, où elle s'est installée après son mariage avec un M. Surville. Là, il étudie les couches et les espèces de la société locale et lit avec passion la Physiognomonie de l'écrivain suisse Lavater, ou l'art de connaître les hommes par leur physique.


SON OBSESSION: ALLIER LA LITTERATURE AUX AFFAIRES

On ne sait s'il se croit un physique de financier, mais en tout cas, il poursuit une obsession, allier la littérature aux affaires. Le meilleur moyen, c'est bien de fonder une maison d'édition. Il s'installe dans l'actuelle rue Visconti et lance, entre autres, l'idée d' « intégrales », des grands classiques en un ou deux volumes. D'autres, par la suite, reprendont l'idée, mais pour ce qui est de l'éditeur-imprimeur Balzac sis rue Visconti à Paris, c'est, hélàs, la faillite. L'écrivain Balzac, lui continue à écrire.
Les consolations sentimentales à ce coup du sort financier ne lui manquent pas: c'est ainsi qu'il subjugue la duchesse d'Abrantès, veuve du maréchal Junot, qu'il rencontre grâce à Laure. Elle deviendra vite sa « chère Marie », ce qui signifie dans le vocabulaire balzacien qu'ils sont amants. Signe prédestiné, comme sa mère, comme sa sœur, comme Madame de Berny, elle s'appelle Laure.
Il s'installe alors, confortablement, dans une maison de la rue Cassini, près de l'Observatoire. Dans son cabinet de travail, des livres reliés aux armes des Balzac d'Entragues (avec lesquels il n'a rien à voir) et une statuette de Napoléon avec ce mot: « Ce qu’il n'a pas achevé par l'épée, je l'accomplirai par la plume ». Signé: Honoré de Balzac.


Ce Napoléon de la littérature écrit d'abord Les Chouans, qui paraissent en 1829. Il ne s'en doute pas encore, mais c'est la première pièce de la future Comédie Humaine. Le succès n'est pas très grand. Balzac sort, bavarde, s'amuse, fréquente les salons, dont celui de Madame Récamier. Ses qualités -verve, imagination, intelligence- y font oublier ses défauts, un puéril besoin de luxe allié avec une mise souvent négligée et une certaine « vulgarité ». Côté amour, il ne lésine pas (« la nature nous a doté d’ un appât ; il faut tâcher de jeûner le moins possible »), mais il reste dans les limites de la « loi sociale ».
Le succès vient avec la Physiologie du mariage, qui contient déjà en germe cent sujets de romans et de nouvelles. Il signe de très nombreux articles - dont une très méchante critique du Hernani de Hugo. Sa collaboration à divers journaux d'Emile de Girardin lui permet de rencontrer les grands dessinateurs du siècle : Gavarni, Grandville, Monnier (dont le Monsieur Prudhomme préfigure le bourgeois balzacien ). Il se montre extrèmement sensible aux modes, aux manies, aux goûts. Entre autres occupations, il joue au « nègre » pour la duchesse d'Abrantès et lui écrit ses Mémoires.
Depuis 1830, il travaille énormément. La récompense vient vite : en 1831 c'est le vif succès de La peau de chagrin, suivi des Romans et Contes philosophiques. Il signe maintenantHonoré de Balzac, ce qui lui vaut - et lui vaudra jusqu'à sa mort -, les attaques les plus imbéciles.


Reçoit-il beaucoup d'argent? Au lieu de rembourser ses dettes, il en fait d'autres. Il meuble magnifiquement la rue de Cassini, reçoit de même, s'achète chevaux et tilbury... Chez Buisson, le tailleur le plus cher de Paris et donc du monde, il commande ses fameuses robes de chambre blanches et ses non moins fameux gants glacés jaune. Autres ingrédients indispensables au dandy : les bottes, les pommades et l'eau du Portugal …
Dans un salon, il est présenté à Henriette, marquise de Castries, nièce du duc de Fitz-James. On ne peut pas faire « mieux ». Honoré de Balzac est aux anges, époustouflé par les raffinements de la marquise. Ce milieu « ultra », déteint sur lui ; le voilà zélé légitimiste. Sa vieille amie Zulma Carraud, républicaine austère, lui demande de ne pas s'oublier.
La célébrité semble donner des ailes à son ambition, stimuler une vitalité déjà débordante. Il reçoit comme un prince, travaille furieusement, lit des tonnes d'ouvrages, entretient un fabuleux réseau de correspondants, et surtout de correspondantes. Quel extraordinaire épistolier ! Que de fantaisie ! Les missives les plus intéressantes sont échangées avec Zulma Carraud. Dans un style admirable, il raconte à ses proches son travail de titan, perpétuellement attablé à l'écritoire où il jette sa « vie comme un alchimiste son or dans un creuset ». (lettre à Zulma, 1832). Il raconte aussi ses amours passionnées. Il calcule, certes, mais aussi fort qu'il aime, et ce n'est pas peu dire. Physiquement il attire, sans qu'on sache pourquoi : il n'est ni beau ni raffiné. Des contemporains dignes de foi le dépeignent comme un être robuste, rubicon, glouton à table, bavard avec brio.


LAURE, HENRIETTE, EVE ET LES AUTRES


Pour satisfaire sa passion d'écrire et pour payer ses dettes, il travaille, travaille et travaille. Il se couche à six heures du soir, se fait réveiller à minuit, écrit douze ou quinze heures, sort l'après-midi et... se couche. Résultat de toutes ces nuits blanches : Le Curé de Tours, Les Contes Drôlatiques, La Femme abandonnée, le Colonel Chabert... Au cours d'un voyage vers l'Italie avec la marquise de Castries, il s'aperçoit que celle-ci le mène en bateau : elle refuse, non sans dédain, de « déposer le corset ». Il la quitte à Genève et revient à Paris. Balzac lave l'affront dans l'encre en faisant de la cruelle 1 'héroïne sans panache de La Duchesse de Langeais (1834).

Parmi les écrivains, c'est peut-être de George Sand qu'il se sent le plus proche. Elle n'aime pas toutefois ses Contes Drôlatiques. « Je me souviens, écrira-t-elle, que comme je le traitais de gros indécent, il me traita de prude et sortit en me criant dans l'escalier : Vous n'êtes qu'une bête! Mais nous n'en fûmes que meilleurs amis. »
A 32 ans, il voudrait bien se marier, mais ni Madame de Berny, ni Zulma Carraud ne sont à sa convenance : il exige fortune et haut rang social, lui qui n'a pour toute dot que son génie. .. et cent mille francs de dettes !


Entre alors en scène Eveline (ou Eve) Hanska, née Rzewuska, d'une illustre famille polonaise ralliée à la Russie et mariée au comte Hanski, maréchal de la noblesse de Volhynie. La marquise de Castries lui paraît soudain peu de chose à côté - d'autant plus que Madame Hanska lui écrit les lettres les plus belles... et les plus flatteuses. Tout a commencé en effet par une correspondance, signée « l'Etrangère ». Balzac, qui a commencé Louis Lambert et ébauché Eugénie Grandet, la rencontre à Neufchâtel le 25 septembre 1833. Comme ils ne se connaissent pas, ils prennent rendez-vous, promenade du Val de Travers. Balzac voit une dame qui lit et qui laisse tomber son mouchoir. Scénario habituel. Il le ramasse, le lui rend et voit que le livre qu'elle tient est un roman de lui. C'est le coup de foudre, même pour la comtesse, et malgré l'aspect peu romantique d'un Balzac tout rond, brèche-dent et mal peigné.. .Les deux amants ne peuvent attendre longtemps pour se revoir : ce sera chose faite à Genève, de Noël 1833 à février 1834. Le comte Hanski, beaucoup plus vieux que sa femme (mais en meilleure santé que ne le souhaiterait Balzac) , ne pipe pas. L'entente intellectuelle et physique des deux amants est parfaite. Leur correspondance reprend ensuite plus enflammée que jamais. La comtesse est très amoureuse et, de surcroît, fort jalouse, non sans quelque raison, d'ailleurs : l'écrivain n'a-t-il pas, entre-temps, fait la connaissance d'une autre comtesse - « la» Guidoboni-Visconti - qu'il ne quitte plus d'une semelle? Deux comtesses d'un coup, cela fait des frais. Sans compter les caprices personnels de l'auteur : en 1834, alors qu'il est endetté jusqu'au cou, les Parisiens le voient promener une canne au pommeau d'or massif enchâssé de turquoises.


1834 est une autre année d'énorme travail. En avril, il tombe même dans une sorte d'anéantissement et doit se reposer. César Birotteau, Séraphita, La Recherche de l'absolu lui donnent beaucoup de mal. Ses cheveux blanchissent et tombent par poignées.
Le café, principal aliment de Balzac, devient peu à peu une bouillie de caféine. Il raconte quel effet ça lui fait: « Dès lors, tout s'agite , les idées s'emballent comme des bataillons de la Grande Armée (…) Les souvenirs arrivent au pas de charge (…) La cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l'artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses ; les traits d'esprit arrivent en tirailleurs. Chaque jour est un Austerlitz de la création. »
En 1835, paraît Le Père Goriot. Balzac a travaillé certains jours jusqu'à 20 heures pour le terminer. Le livre s'arrache mais les critiques ne désarment pas. L'un d'eux, vertueux, s'exclame: « Quelle caricature de paternité! Que de mauvaises mœurs! Que de tableaux cyniques! Que de femmes adultères! ».Le journal La Mode parle de Balzac comme de « l'inévitable de la librairie».


MA VIE N'EST QU'UNE LUTTE


Comme il veut toujours produire plus, il lui faut des aides. Il prend comme secrétaire Jules Sandeau, amant de George Sand, délaissé pour Marie Dorval. Il le charge de « recherches ». Tâche effroyable. Sandeau raconte:« Je compilais à perdre haleine, sans parvenir à le satisfaire, heureux, quand, harassé de fatigue, couché sur mon étroit lit de fer, je n'étais pas réveillé en sursaut par ce titan, désireux de me lire les pages fraîches du roman nouveau ou de m'atteler à la correction de ses innombrables épreuves ».
Balzac n'arrête pas d'acheter des meubles, des tapis, de l'argenterie. Ses cannes deviennent célèbres: ce sont les plus jolies et les plus chères de Paris.


Madame Hanska reste la première dans ses pensées et il aimerait bien la rejoindre à Vienne. Comment faire sans argent, quand on vient de se faire ruiner, bien involontairement, par une canne à pommeau d'or serti de turquoises? James de Rothschild lui en prête, non sans dire à l'intermédiaire: «Faites bien attention à M. de Balzac, c'est un homme bien léger ». Il part pour Vienne avec Auguste, son valet de chambre. L'aristocratie viennoise l'accueille comme un héros et le prince Metternich goûte ses idées politiques. Quant aux Rothschild de Vienne, ils continuent les bons offices de leurs cousine de Paris...
Au retour, il faut produire pour éponger. En recevant ses textes, les imprimeurs s'arrachent la tête: « C'était une ébauche, un chaos, une apocalypse, un poème hindou. L'imprimeur pâlit. Le délai est bref, l'écriture inouïe. On transforme le monstre : on le traduit à peu près en signes connus ». Mais Balzac, quand il reçoit les épreuves, les considère comme des canevas ! Il les colle alors sur d'immenses « paravents » et continue à broder. .. « De chaque mot imprimé part un trait de plume qui rayonne, serpente et s'épanouit à l'extrémité en pluie de phrases, d'épithètes et de substantifs, soulignés, croisés, mêlés, raturés, superposés. On travaille à tout hasard et à la grâce de Dieu. »


Poursuivi par ses créanciers, et en particulier par son propre éditeur Werdet, il doit déménager, se cacher, ruser, se déguiser. Son seul lance-flammes, dans l'incendie de ses dettes, c'est sa plume. Mais le cercle est infernal: «J'achève souvent une chaumière à la lueur d'une de mes maisons qui brûle ».
Une qui ne tarde pas à brûler, c'est la Chronique de Paris, qu'il rachète parce qu'il y voit « un premier pas vers le pouvoir ». C'est en fait, un pas de plus dans la déconfiture. Rédaction certes éblouissante : Hugo, Théophile Gautier, Gustave Planche, Alphonse Karr. Balzac, futur ambassadeur (on fait de la politique ou on n'en fait pas) doit écrire les articles sur l'étranger. Comme secrétaires d'ambassade, il prend deux jeunes gens aux noms ronflants: le marquis du Belloy et le comte Ferdinand de Grammont. Les conférences de travail se passent chez lui, autour d'une table : jambon rôti, pluviers au gratin, grenadins de veau, filets d'esturgeon, asperges, beignets d'ananas, vins de Champagne et du Rhin. On fait des plaisanteries, des jeux de mots, de proverbes postiches (« L'occasion fait le luron »). Mais une fois les lurons partis, Balzac se retrouve seul avec le numéro de la Chronique à écrire...

INSOUMIS ET REFRACTAIRE A LA GARDE NATIONALE


Le beau navire coule, et les rats nagent vite. Le 23 avril 1836, c'est le bouquet: le voilà aux prises avec la garde nationale! Comme il refuse de remplir son devoir de « soldat-citoyen» dans ce corps d' « épiciers », il est arrêté et conduit à l'hôtel des Haricots. L'intime de Metternich, en prison ! Il n'y a plus de justice. Il obtient néanmoins du feu, une chambre particulière, un table et corrige Le Lys dans la vallée. Il donne des dîners et réussit le tour de force de dépenser autant d'argent en prison qu'à l'air libre.
En sortant, il s'attèle aux Illusions perdues, un titre qui lui va bien. C'est une orgie de travail. Il part ensuite pour l'Italie, où il a décidé de défendre les droits de la famille Guidoboni-Visconti dans une affaire d'héritage. Etrange voyage : il se fait accompagner d'une maîtresse déguisée en garçon, une amie intime de Jules Sandeau. La comtesse Visconti ne s'émeut pas: elle sait qu'un artiste a besoin d'aventures et elle-même...


Pendant qu'il folâtre ainsi, Madame de Berny, son « soleil moral », se meurt. Elle ne voulait plus le revoir, persuadée que la mort d'un de ses enfants était une punition de Dieu pour sa liaison avec Honoré. Pourtant, sur son lit de mort, elle l'avait fait appeler. Il était en Italie et elle était morte, seule avec ses souvenirs. Le lendemain, son fils a brûlé, comme elle le lui avait demandé, ses quinze années de correspondance amoureuse avec Balzac.
Il a beaucoup de peine ; mais le tourbillon l'entraîne et ne lui laisse pas le temps de pleurer le passé. En 1837, il va voir George Sand à Nohant. Ces deux grands « hommes » experts en féminité, se ressemblent : « Elle est un de ces esprits, dit Balzac, qui sont puissants dans leur cabinet, et fort attrapables sur le terrain des réalités ». A Nohant, il « varie les excitants », et fume un tabac d'Orient, très fort...
Il achète la maison des Jardies, à Ville-d'Avray et veut y faire pousser des ananas. Rien ne peut rapporter plus gros que les ananas. Un seul problème, le sol est si pentu qu'il est impossible d'y faire pousser un arbre. Peu importe: Balzac, pour soutenir tout ça, veut faire importer d'Italie des pilots d'aloès, poutres sur lesquelles reposent les palais de Venise! On arrive à l'en dissuader!
Rien d'étonnant donc à ce que son livre de chevet, les Comptes mélancoliques (échéances et dettes) soit maintenant plus gros que celui des Contes drôlatiques « auxquels il ne fait pas suite», dit-il en riant.

TRAQUÉ PAR SES CREANCIERS


Balzac a maintenant des dettes absolument partout. Les unes sont « criantes », les autres «tranquilles ». Parmi les premières, certaines sont particulièrement humiliantes : à sa portière, à son jardinier, à son garde-champêtre.
Lui qui refaisait dix fois ses romans ne prenait aucun soin de ses pièces de théâtre, censées chaque fois lui rapporter une fortune. La veille du jour où il devait lire Vautrin au théâtre de la Porte-Saint Martin, il convoqua ses amis Gautier, Belloy, Gurliac et Laurent-Jean chez... son tailleur. Voilà la conversation avec Gautier :
« Enfin! Dépêchez-vous donc! Je lis demain chez Harel (le directeur du théâtre) un grand drame en cinq actes.
- Et vous désirez notre avis?
- C'est que le drame n'est pas fait. Nous allons bâcler tout ça pour toucher la monnaie. Vous ferez chacun un acte, je ferai le cinquième et je le lirai à midi comme convenu.
- Alors, contez-nous le sujet.
Et Balzac, avec un grand éclat de rire:
- Ah! s'il faut vous conter le sujet, nous n'aurons jamais fini !».
La première eut toutefois lieu le 14 mars 1840. Les journaux étaient tous contre lui, depuis la peinture du milieu journalistique qu'il avait faite dans les Illusions Perdues. L'entrée en scène de l'acteur Frédérick Lemaître en général mexicain avec un toupet à la Louis-Philippe exaspéra le fils du roi, présent dans la salle. Le lendemain Vautrin était interdit. La famille de Balzac qui avait, comme à son habitude, participé financièrement à la pièce, se trouvait, une fois de plus, flouée.

Il recommence avec la Revue parisienne les folies de la Chronique de Paris. Même résultat. Une consolation: il y a éreinté Port-Royal de Sainte-Beuve: « M. Sainte-Beuve a eu la pétrifiante idée de restaurer le genre ennuyeux ».
A Madame Hanska qui lui reproche la rareté de ses lettres, il répond: « Elles étaient rares parce que je n'ai pas toujours eu l'argent pour les affranchir ». Madame Hanska est loin, les autres amours le déçoivent et les créanciers le harcèlent. Il s'installe sous un nom d'emprunt à Passy, rue Basse, aujourd'hui rue Raynouard. Une Madame de Breugnol (particule rajoutée) lui sert à tout, gouvernante, secrétaire, agent d'édition, maîtresse. Il y écrit La Rabouilleuse, Ursule Mirouët, Une Ténébreuse affaire.


LE NAPOLEON DE LA LITTERATURE


Un grand moment en 1841 : il signe avec un collège de libraires (Furne, Dubochet et Cie, Hetzel et Paulin) un contrat d'édition de toutes ses œuvres sous le titre prestigieux de La Comédie Humaine. Autre bonne nouvelle : le comte Hanski meurt. Balzac vend comme d'habitude la peau de l'ours trop vite. Tout n'est pas si facile. Madame Hanska veut aller doucement. Vu sa position sociale et sa fortune, elle craint la réaction du tsar, fort pointilleux pour les alliances avec les étrangers : vu son éducation et son entourage, elle craint une mésalliance ; vu Balzac, elle craint de finir comme une pauvresse !
Il va la voir à Saint-Pétersbourg en 1843. La bonne société l'acclame. Au retour, malgré une santé déclinante, il continue à travailler comme un fou. Ses relations avec sa sœur Laure et sa mère sont orageuses. Il se console en envoyant à l'Etrangère des lettres de plus en plus exaltées. En 1845, il la retrouve à Dresde et rencontre sa fille Anna et son fiancé. Tous quatre voyagent en Italie où Balzac dévalise tous les antiquaires.


Où mettre tous ces achats? Il faut un musée pour ces splendeurs. Pas de problème: il achète un hôtel rue Fortunée (aujourd'hui rue Balzac), avec l'idée d'y installer un jour sa femme. Il lui écrit: « Tu pourras y recevoir ta cousine, la princesse de Ligne. C'est hors ligne vraiment ». Pour payer cette installation, il se lance dans des spéculations dont l'échec est, une fois de plus, accablant.
Sa santé se dégrade, mais les journaux qui les ont payés d'avance réclament leur feuillets. Et c'est Le Cousin Pons, La Cousine Bette, Les Paysans…
Entre deux séries d'épreuves à corriger, il fait un saut à Wiesbaden pour assister au mariage d'Anna et de Georges. Et voilà qu'à son retour, la fidèle Breugnol, jalouse, lui vole les lettres de Madame Hanska et le fait chanter! Pour cinq mille francs, il récupère ses lettres. Décidément, tout se paie...

EN TOUCHANT LE BUT ...


En 1847, il continue à courir l'Europe pour aller voir Madame Hanska. Mais cette fois, il la ramène de Francfort à Paris puis repart avec elle (enfin !) à Wierzchownia. Extraordinaire voyage. Il avait beaucoup espéré; il fut comblé. « 40 000 âmes » à son service, c'est plus encore que la Comédie Humaine. Il ne rentre à Paris qu'en février 1848. Il y retrouve la Révolution. Ce n'est pas son genre. Une consolation, sa pièce, La Marâtre, connaît un grand succès. Comme s'il sentait que la vie lui échappait, il semble vouloir la retenir en multipliant les achats, les dettes, les rêves. Il lui faut travailler, mais les torrents de moka n'agissent plus.


Il retourne à Wierzchownia et charge sa mère de préparer la rue Fortunée pour son retour. Il la charge aussi de déposer des cartes chez les académiciens. Il y a deux élections prochaines. Lui qui aimait tant les titres se voit préférer cruellement le comte de Noailles et le comte de Saint- Priest.
Son état s'aggrave mais la perspective de son mariage le met en joie. Le 14 mars 1850, c'est enfin le grand jour. Madame Hanska a donné presque tous ses biens (mais il lui en reste...) à sa fille et Balzac a reçu du tsar la permission d'épouser une de ses sujettes. Balzac avait même offert de se faire russe, s'il le fallait. Le tsar a décliné sa proposition. Après le mariage, c'est le retour, affreux, vers Paris. Le temps est aussi mauvais que la santé de Balzac, qui souffre de plus en plus du cœur.


Le 21 mai, ils arrivent rue Fortunée. Ce qui devait être une apothéose tourne au cauchemar : la porte est close et le domestique, devenu fou, s'est barricadé à l'intérieur après avoir saccagé une partie de la maison.
Balzac y vit un triste présage. Lui-même, dont le voyage avait aggravé l'état, était à toute extrémité. C'est par les lettres d'Eve à sa fille que nous suivons avec précision l'évolution du mal. A la fin mai 1850: « Il ne peut ni voir ni marcher, écrit-elle, il s'évanouit sans cesse ». Le 30, son vieil ami, le Dr Nacquart consulte les sommités médicales. Les illustrissimes prescrivent des purges, des diurétiques et les habituelles saignées. Résultat? En peu de temps les membres enflent, une albuminurie profonde se déclare; elle s'accompagne d'hydropisie, de douleurs lancinantes. Ce géant ne pouvait souffrir que des maux capables d'en tuer dix !
Le 5 août, après un heurt contre un meuble, la gangrène gagne une jambe. Gravement atteint, 1’homme n'en continue pas moins à faire des plans et des projets pour ses romans futurs. Il accepte les souffrances (passagères, croit-il), comme la rançon du bonheur enfin conquis.


Hugo vient voir le malade le 18 août : « Il avait la face violette, presque noire, inclinée à droite, la barbe non faite, les cheveux gris et coupés court, l'œil ouvert et fixe. Je le voyais de profil et il ressemblait à Napoléon ».
Il meurt quelques heures après, créateur d'un monde qui allait lui survivre.
Sa tombe est au Père-Lachaise, où plusieurs de ses personnages avaient été ensevelis et d'où Rastignac avait apostrophé Paris. Victor Hugo prononça une éblouissante oraison funèbre, célébrant la grandeur de l'œuvre de son ami.

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père de balzac

Son père, Bernard-François

mère de balzac

Sa mère, Laure

balzac enfant

Balzac enfant

sa soeur laure

Sa soeur préférée, Laure

 

 

 

 

 

 

 

laure de berny

Laure de Berny

rue tournefort

24 rue Tournefort, l'une des habitations parisiennes de Balzac et de Laure de Berny

rue de castiglione

L'élégante rue de Castiglione en 1830

le dandy balzac

Le dandy Balzac aux Tuileries

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

madame hanska

Madame Hanska

 

 

 

 

 

 

un des cannes de balzac

Une des célèbres cannes... elle mesure 90 cm, a une chaîne d'or et un pommeau incrusté de turquoises

 

 

 

 

 

 

le palais royal

La galerie d'Orléans au Palais Royal en 1835

l'opéra

Bal à l' Opéra de Lamy

 

 

 

l'acteur désiré

L'acteur Désiré interprétant le rôle du Père Goriot

 

 

 

 

 

 

 

 

 

george sand

George Sand "poussant" un candidat député

 

 

 

les jardies

Balzac en 1840 recevant des amis dans sa propriété Les Jardies

 

 

 

 

balzac, gautier, lemaître

Balzac avec l'acteur Frédérick Lemaître et le romancier Théophile Gautier

 

rue basse

La maison de la rue Basse, à Paris

 

 

 

 

dresde

Dresde au XIXe siècle

 

 

 

le bureau de balzac

Le bureau où Balzac travailla sept ans sans relâche

 

 

 

 

 

 

course à l'académie

Grande Course au clocher académique